Jeudi 22 juin, plus de 150 personnes sont venues de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes pour assister à la 2ème étape du Tour de France des handicaps invisibles organisée dans les locaux de Sciences-Po Lyon, autour de la thématique des troubles du spectre de l’autisme.
Lutter contre les idées reçues et développer l’inclusivité
Michelle Lugrand, secrétaire générale adjointe aux affaires régionales auprès de la Préfète de la région Auvergne Rhône-Alpes a tenu, en introduction à cette matinée, a rappelé que : « Aujourd’hui l’autisme touche en France 100 000 jeunes de moins de 20 ans et 600 000 adultes. L’Etat développe donc, depuis 2012 une politique forte sur le sujet de l’autisme en remettant la science et la recherche au cœur de la politique, en intervenant précocement, en rattrapant son retard en termes de scolarisation, en aidant les familles et l’entourage. Nous avons une obligation d’emploi, mais intégrer des personnes en situation de handicap signifie plus que cela : c’est intégrer des personnes qui ont envie de s’intégrer et qui permettent à la société de devenir plus inclusive et de travailler ainsi son devoir de fraternité ».
Séverine Baudouin, directrice adjointe du , a ensuite rappelé les missions du FIPHFP, ses modalités d’intervention et les actions qu’il mène. Elle a souligné que : « Le comité national du FIPHFP s’est doté d’un programme exceptionnel qui compte un axe spécifique sur les handicaps invisibles. En se saisissant de ce sujet, nous voulons aller plus loin et rendre visible ce qui est invisible. Il faut mettre des mots sur ces handicaps pour lutter contre les idées reçues et arrêter de voir le handicap de la personne en premier, mais ses compétences ».
Pour compléter ces propos, Guillaume Bonneville, Directeur territorial handicap du FIPHFP en Auvergne-Rhône-Alpes, a indiqué que : « La neurodiversité a toute sa place dans la société, c’est ce que l’Histoire nous enseigne. L’inclusivité est ainsi l’acte de promouvoir, de favoriser et de défendre l’intégration des personnes en situation de handicap. En Auvergne Rhône-Alpes, un travail est en cours pour permettre aux employeurs de mieux connaître et reconnaître les agents en situation de handicap, notamment ceux en situation de handicap invisible ».
Déconstruire la vision médicale et déficitaire de l’autisme
La matinée est ensuite entrée dans le vif du sujet avec l’intervention de Julie Dachez, chercheuse et docteur en psychologie sociale, diagnostiquée Asperger et auteure, autour de l’autisme et de l’emploi. Elle est revenue, en premier lieu, sur la définition clinique de l’autisme qui s’articule autour deux grandes familles de caractéristiques :
• les déficits de la communication et des interactions sociales,
• le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts.
Elle a insisté sur la nécessité de déconstruire cette définition médicale de l’autisme qui parle de « déficits » et de « caractère restreint » : « Le regard que les non autistes portent sur l’autisme n’est pas objectif. Pour déterminer ce qui est pathologique et ce qui est sain, on se base sur des critères culturels ». Il est ainsi possible de changer de vocabulaire en parlant par exemple de « particularités de la communication sociale » au lieu de « déficits de la communication sociale » ou encore « d’intérêts spécifiques » plutôt que « d’intérêts restreints ».
« Être autiste dans un monde de non autiste est très difficile car l’environnement n’est pas adapté et présente beaucoup de barrières et de préjugés. », a-t-elle ajouté. « Il faut accompagner la personne pour dépasser ses difficultés, tout en questionnant nos motivations : pourquoi le fait-on ? Pour que la personne soit plus autonome ou dans le but de la normaliser ? Il est important de se poser cette question pour développer un accompagnement adapté afin de rendre la personne autonome ».
Julie Dachez a ensuite donné quelques clés pour aménager l’environnement professionnel ou encore pour changer ses modalités de recrutement. Elle a toutefois signalé qu’il était toujours primordial de partir des besoins de la personne. Plusieurs aménagements du poste de travail ont ainsi été évoqués : consignes écrites, mails (qui permettent d’enlever une couche d’implicite), temps de pause en solitaire, espace sensoriel à disposition (isolation phonique, lumières…), télétravail, horaires de travail à adapter ou décaler, identification d’une personne ressource, délimitation du travail dans l’espace et le temps, aide à la priorisation, mise à disposition d’un trombinoscope de l’équipe, fourniture de supports visuels, formation de l’équipe…
En conclusion, Julie Dachez a tenu à rappeler les points forts des personnes autistes dans l’emploi, points forts à ne pas généraliser car différents en fonction de chaque individu : attention aux détails, reconnaissance de relations de cause à effet, talents artistiques et créatifs, expertise, sens moral, loyauté, mémoire…
Autisme et emploi, c’est possible !
La matinée s’est poursuivie par une table ronde, animée par Estelle Boquet du Handi-Pacte Auvergne Rhône-Alpes, rythmée par deux séquences apportant des visions d’experts et des témoignages d’employeurs publics.
Mieux comprendre les troubles TSA pour faire tomber les préjugés
La première séquence portait sur une meilleure compréhension des troubles du spectre de l’autisme afin de faire tomber les préjugés et leurs conséquences en emploi. Mélanie Huc, médecin psychiatre au Centre ressources autisme (CRA) en Auvergne Rhône-Alpes, a présenté, dans un premier temps, l’accompagnement proposé par le CRA aux professionnels de la médecine libérale ou de l’hôpital pour les aider à réaliser un diagnostic. Cet accompagnement leur permet de continuer l’accompagnement, par leurs propres moyens, et d’essaimer autour d’eux.
Tatiana Ayme, déléguée générale adjointe de l’association régionale des missions locales en Ile-de-France, est ensuite intervenue pour évoquer le programme de formation ARIA proposé par les missions locales : « Au départ, rien ne prédestinait les missions locales à se concentrer sur l’autisme. Il y avait cependant une urgence à s’occuper du sujet pour les 16/25 ans pour qu’un diagnostic puisse être posé si besoin. De plus, les référents handicap des missions locales avaient besoin d’appui pour bien accompagner et insérer les jeunes autistes qu’ils accueillaient. C’est ainsi que le programme de formation ARIA a vu le jour et a été proposé à toutes les missions locales, ainsi qu’aux employeurs, à travers un kit employeur, pour leur permettre de repérer et mieux intégrer ensuite les personnes ayant un trouble de l’autisme ou autre ».
Dans la foulée, Bruno Renard, responsable RSE au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Grenoble, a évoqué l’expérimentation menée depuis 2018, au CEA autour du recrutement de trois personnes autistes, accompagnées de jobcoachs. Son retour d’expérience est le suivant : « Le rapport humain est primordial. Il faut beaucoup d’accompagnement pour que cela fonctionne. Il faut suivre, sensibiliser le collectif de travail pour garantir une adaptabilité de toute la chaîne. La diversité est alors une opportunité pour toutes les entreprises, surtout dans des métiers en tension ».
Philippe Brousse, Secrétaire général de
en Auvergne Rhône-Alpes, a ensuite détaillé l’offre de services intégrée du Service public de l’emploi (
) organisée autour de « teams handicap ». Ces dernières peuvent intervenir de différentes façons, notamment, via une prestation d’appui spécifique (
) spécialisée par typologie de handicap, via l’emploi accompagné ou via des dispositifs portés par des acteurs du secteur médico-social. L’idée est de conjuguer des dispositifs spécifiques au sein d’un cadre de droit commun.
Concernant les employeurs publics, l’un des enjeux majeurs est de les accompagner à adapter leurs process de recrutement, ce qui demande de convaincre les services
, mais aussi les élus.
Pour l’aménagement en situation de travail, Philippe Brousse a indiqué : « Il faut accompagner l’ensemble de l’équipe pour que cette dernière comprenne l’aménagement mis en place. Nous avons des retours d’employeurs qui nous disent que c’est plus qu’un recrutement, que cela crée une vraie dynamique au sein d’un collectif de travail lorsque cela fonctionne ».
Créer les conditions d’une intégration durable
Une deuxième table ronde s’est enfin intéressée aux conditions à mettre en œuvre pour une intégration durable, ainsi qu’aux interlocuteurs vers qui se tourner.
Catherine Dubreuil, référente diversité – égalité au sein du Centre hospitalier Annecy Genevois (CHANGE), a expliqué la façon dont s’était déroulé le recrutement de cinq jeunes brancardiers ayant des troubles du spectre de l’autisme, durant la période COVID. Un premier jeune a ainsi été accueilli en PMSP (période de mise en situation professionnelle), puis en , suivi par d’autres jeunes tous accompagnés d’un jobcoach. A l’arrivée du premier jeune, l’équipe a réagi en raison d’incompréhension sur son comportement. Un neuropsychologue de l’ADAPT est intervenu pour sensibiliser le collectif de travail, ce qui a dénoué les choses. Le jeune a été titularisé suite à son CDD, tout comme trois autres brancardiers recrutés. Catherine Dubreuil a également évoqué le fait que de plus en plus d’agents qui pressentent un TSA viennent aujourd’hui la solliciter pour pouvoir effectuer un diagnostic et anticiper des aménagements de travail.
Sandrine Raffini, conseillère emploi et job coach pour le dispositif d’emploi accompagné (
) porté par Messidor, est ensuite intervenue afin de présenter le DEA et l’intervention des job-coachs dans ce cadre. La 1ère étape du DEA repart du projet professionnel et des particularités propres à la personne pour pouvoir anticiper les aménagements à envisager en entreprise. La 2nde étape correspond la recherche d’emploi rapide par le conseiller emploi accompagné, avec une entrée en emploi qui se fait souvent via un stage. L’accompagnement se poursuit dans le poste de travail, en lien avec le métier. La particularité du DEA est qu’il n’y a pas de durée dans le temps : tant qu’il y a des besoins exprimés, l’accompagnement continue.
Sandrine Raffini a souhaité donner plusieurs conseils aux managers pour intégrer au mieux une personnes ayant un TSA : utiliser des logigrammes, donner des consignes claires, éviter les imprévus, disposer d’un lieu où il est possible de s’isoler.
Mireille Baraz, présidente de l’association « Autisme Ardèche », a, de son côté, évoqué le travail mené avec des partenaires de l’emploi, comme Messidor, et la mise en place d’une plateforme aujourd’hui intégrée au DEA. L’association propose également du matériel pédagogique, comme un Escape Game, pour aider les employeurs à se mettre en situation.
Guillaume Bonneville, Directeur territorial handicap du FIPHFP en Auvergne-Rhône-Alpes, est enfin intervenu pour détailler l’accompagnement proposé par le FIPHFP. Il a également présenté les aides qu’il est possible de solliciter auprès du FIPHFP pour accompagner au mieux les personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme dans l’emploi, notamment en matière de sensibilisation du collectif de travail.
Le temps fort de clôture de cette matinée, a été la lecture par Vianney Sergent, développeur web, d’un texte poignant nous invitant à découvrir son enfance, sa scolarité et les difficultés qu’il rencontre.
Les participants ont également été invités à découvrir la fresque réalisée par Jessy Chanlaud durant la matinée, ainsi que l’exposition de ses œuvres et de textes organisée par le Handi-Pacte Auvergne-Rhône-Alpes.
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