Comparativement à certains critères tels que l'état de grossesse, le genre ou l'origine de la personne qui font l'objet de nombreuses jurisprudences pour cause de pratiques discriminatoires avérées, on relève bien moins de contentieux ouverts et de décisions jurisprudentielles concernant la discrimination des personnes souffrant de handicap psychique.
Plusieurs explications peuvent être avancées pour cela. Dans les faits, les troubles psychiques s'avèrent discriminants au quotidien, dans le monde du travail. L'analyse de la sociologue Claire Leroy-Hatala.
Une jurisprudence restreinte
La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (Halde ), devenu le Défenseur des droits, a été peu saisie sur des questions relatives au handicap psychique.
Il faut citer la loi dite Le Pors, qui fixe notamment les conditions d’accès aux trois Fonctions Publiques permettant d’octroyer la qualité de fonctionnaire. Elle stipule clairement l’importance de la condition d’aptitude qui, pour son évaluation, doit au préalable tenir compte des possibilités de compensation du handicap.
La rareté de la jurisprudence peut donc s’expliquer par le fait que :
- les personnes en situation de handicap psychique peuvent être dans le « déni » de leur handicap,
- elles ne sont pas toujours en capacité de réaliser qu’elles font l’objet d’un acte discriminatoire ou de faire le pas pour s’engager dans une procédure judiciaire.
La délibération n°2010-143 de la Halde en date du 06/09/2010 relative « à un refus de titularisation dans la fonction publique territoriale, discriminatoire car fondé sur le handicap psychique du réclamant » est toutefois à noter.
La Halde a été saisie pour un refus de titularisation au poste d’adjoint technique dans une petite commune. Cette saisine émanait d’une personne en situation de handicap psychique qui estimait que ce refus était fondé sur son handicap. La Halde a jugé ce refus de titularisation discriminatoire car « Il ressort de l’enquête que le maire s’oppose à la mise en place des mesures appropriées permettant de compenser le handicap. Dès lors, l’argument d’une éventuelle insuffisance professionnelle ne peut être retenu ».
Une discrimination réelle sur le terrain de l’emploi
« La discrimination est réelle pour les personnes en situation de handicap psychique. Elle se traduit de 3 manières différentes : statistique, organisationnelle et dans les représentations du handicap », indique la sociologue Claire Leroy-Hatala.
Du point de vue statistique, il n’existe pas de données officielles sur l’emploi des personnes en situation de handicap psychique. Les experts s’accordent toutefois à dire qu’il s’agit des pathologies les plus touchées par le chômage.« L’Unafam estime, sur la base d’études et d’extrapolation de données, qu’entre 75 et 80% des personnes en situation de handicap psychique serait au chômage ou en inactivité », souligne Claire Leroy-Hatala.
Le marché de l’emploi, tel qu’il est construit et organisé, est très difficilement accessible pour les personnes en situation de handicap psychique. Il s’agit là d’un second type de discrimination, plus insidieux. « L’organisation actuelle du travail est très normative et correspond à une vision attendue du salarié : un homme de 30 ans, diplômé et sans enfant. Cette organisation a beaucoup de mal à intégrer les personnes en situation de handicap psychique et à valoriser leurs compétences. L’organisation et les procédures de gestion des ressources humaines qui en découlent sont discriminantes », explique la sociologue.
Les relations au travail sont, elles aussi, très codées. Les troubles du comportement déstabilisent parfois le collectif de travail. Les personnes en situation de handicap psychique ne perçoivent pas toujours les attentes de l’environnement en matière de comportement (tenue vestimentaire, tutoiement ou vouvoiement, niveaux de langage…). Il peut être compliqué d’intégrer ces codes évidents pour d’autres.
Le dernier registre de discrimination concerne les représentations que la société a des personnes en situation de handicap dans le monde du travail :« Nous considérons souvent que le salarié handicapé est un salarié moins productif, encore plus dans le cas du handicap psychique », explique Claire Leroy-Hatala. « D’après une étude de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, 47% des personnes qui travaillent pensent que les personnes en situation de handicap psychique feraient mieux de travailler dans le secteur adapté ». Or une intégration en milieu ordinaire est tout à fait possible : elle doit se faire avec un accompagnement individualisé, une formation du collectif de travail et la présence d'un tuteur.