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Corse - Focus sur La santé mentale au travers des troubles psychiques

Le mardi 27 mai à Bastia, la réunion de réseau du Handi-Pacte di FIPHFP en Corse consacrée à la santé mentale au travail a réunion 33 participants, autour d'une ambition claire : mieux comprendre les situations de souffrance psychique en milieu professionnel et savoir comment y répondre avec justesse et bienveillance.

Participantes et participants à la journée du 27 mai à Bastia

L’évènement a été organisé au Club House Bastia, l'occasion pour les participants de découvrir ce nouvel acteur sur le territoire bastiais. Après une introduction de Thierry Allemand, directeur territorial au handicap du FIPHFP pour les régions PACA – Corse, la journée s’est divisée en 2 temps forts : la conférence d’un grand témoin le matin, avec de nombreux échanges et interpellations du public puis 2 tables rondes l’après-midi qui ont donnés lieu à de nombreux témoignages et partages de pratiques.

Une conférence de Dominique Lhuillier autour des enjeux de la santé mentale au travail

À l’occasion d’un temps d’échange organisé autour des enjeux de santé mentale au travail, Dominique Lhuillier, professeure émérite au CNAM et spécialiste de la psychopathologie du travail, a livré une intervention particulièrement dense et éclairante. Elle a permis de mieux comprendre l’impact des transformations du travail sur la santé psychique, tout en mettant en lumière les leviers de rétablissement et de soutien à construire collectivement.

Santé mentale au travail : une réalité devenue centrale

L’intervenante a rappelé que les troubles de santé mentale sont aujourd’hui la 3e cause de maladie en France, avec une forte prévalence, notamment depuis la crise Covid-19. Ils sont responsables de 35 à 45 % de l’absentéisme et constituent la première cause d’années vécues avec une invalidité.

Elle a insisté sur le caractère multifactoriel des atteintes à la santé mentale au travail : stress, burn-out, dépression, addictions, mais aussi troubles liés aux transformations structurelles du travail, à ses organisations et à ses conditions concrètes d’exercice.

Des transformations du travail qui fragilisent

Dominique Lhuillier a passé en revue les grandes évolutions qui participent à une fragilisation psychique croissante :

  • Intensification du rythme (cadences, pression temporelle, urgences multiples) ;
  • Précarisation de l’emploi et du travail (flexibilité, CDD, réorganisations fréquentes) ;
  • Individualisation des relations professionnelles (compétition, isolement) ;
  • Numérisation des pratiques (télétravail, instantanéité, traçabilité, surconnexion) ;
  • Fragmentation de l’activité (chevauchement de tâches, dispersion attentionnelle).

Ces évolutions réduisent les marges de manœuvre des salariés, creusent l’isolement professionnel, et entravent la possibilité de sens et de reconnaissance dans le travail.

Conférence de Dominique Lhuillier

Quand le travail devient "maladie"

À travers l’exemple marquant du 115 (plateforme téléphonique), elle a illustré comment l’absence de temps de repos, le pilotage par les chiffres, la perte de maîtrise de l’activité et le manque de reconnaissance peuvent conduire à l’épuisement et à la perte de sens.

S’en suivent souvent : troubles du sommeil, fatigue chronique, perte d’estime de soi, sentiment d’impuissance et souffrance éthique, jusqu’à la rupture professionnelle.

Santé mentale, handicap psychique et stigmatisation

L’intervention a permis de clarifier les notions de :

  • Troubles psychiques (anxiété, dépression, burn-out, bipolarité…) ;
  • Handicap psychique, souvent invisible, caché ou mal compris, car fortement stigmatisé.

Les personnes concernées hésitent à faire valoir leurs droits par peur de rejet, de perte d’emploi ou de disqualification sociale. Cela interroge profondément les représentations du "malade au travail".

Le travail, aussi, comme levier de rétablissement

Face à ces constats, Dominique Lhuillier a défendu l’idée que le travail peut aussi être source de santé, sous certaines conditions. Il permet de :

  • conserver une place dans la société,
  • restaurer l’estime de soi,
  • sortir du statut de malade par l’activité.

Mais pour cela, il faut préparer l’environnement de travail à accueillir, former les collègues et encadrants, lutter contre les stéréotypes, et renforcer les ressources organisationnelles.

Le "travail de santé" : une responsabilité partagée

La santé mentale n’est pas une affaire privée : elle est co-produite dans les environnements de travail. D’où la nécessité de :

  • Reconnaître le travail invisible que réalisent les salariés pour tenir malgré la fragilité ;
  • Aménager le travail pour permettre les stratégies de compensation ;
  • Soutenir les collectifs, qui sont des antidotes à l’isolement ;
  • Favoriser les groupes de pairs-aidants, où l’expérience devient source d’entraide, de narration et de requalification identitaire.

L’intervention de Dominique Lhuillier a été saluée pour sa clarté, sa profondeur et sa capacité à relier analyse théorique et réalités vécues. Elle a mis en évidence un message essentiel : Soigner la santé mentale au travail passe autant par la transformation des pratiques que par le soin que l’on apporte au travail lui-même.

Un après-midi consacré à tes tables rondes thématiques

Les deux tables rondes de l’après-midi ont été animées par François Le Saux - Mari, chef de projet Handi-Pacte Corse. Les intervenants ayant contribué aux échanges étaient les suivants :

  • Dominique Lhuillier, grand témoin de la journée et professeure émérite au CNAM
  • Naâïma Ramli, Référente Handicap à la Mairie d’Istres
  • Jean-Yves Bonifay, Directeur du Club House
  • Caroline Casabianca, Cap Emploi Bastia
  • Jacques Ferrali, Communauté d’Agglomération de Bastia
  • Catherine Alias et Anne-Sophie Dussol, Association ISATIS

Table ronde n°1 – Aborder le sujet avec un travailleur en souffrance psychique dans le déni

Ce premier temps d’échanges a permis de poser les bases du dialogue en situation complexe, particulièrement lorsque la personne concernée ne souhaite pas reconnaître sa souffrance ou refuse toute aide.

Les échanges, ont permis d’aborder plusieurs points clés :

  • Les signes d’alerte de la souffrance psychique en milieu professionnel : repli, irritabilité, isolement, erreurs inhabituelles…
  • Le rôle du collectif de travail et de l'encadrement dans la détection précoce.
  • La difficulté d’aborder le sujet sans brusquer, notamment en l'absence de demande explicite.
  • L’importance d’une posture d’écoute active et de non-jugement.
  • Le rappel des limites d’intervention du manager ou du collègue, et la nécessité de s’appuyer sur des professionnels (médecin du travail, psychologue, assistant social…).
  • La nécessité parfois d’objectiver la situation par le signalement ou par des procédures, afin de sortir du déni et d’être en mesure de mobiliser les accompagnements et dispositifs d’aides existants. 

Plusieurs intervenants ont illustré leurs propos à travers des situations vécues, soulignant combien le respect de la dignité de la personne reste central dans tout accompagnement, même indirect.

Table ronde organisée à l'occasion de la journée du 27 mai

Table ronde n°2 – Quels dispositifs pour accompagner un agent en souffrance psychique ou porteur d’un handicap psychique ?

La deuxième table ronde fut consacrée à une approche plus technique et informative, centrée sur les dispositifs d’accompagnement mobilisables en cas de souffrance psychique avérée ou de handicap psychique reconnu.

Les échanges ont permis de mieux comprendre :

  • Le rôle essentiel des acteurs internes (référent handicap, RH, encadrant, médecine du travail) et externes (Cap Emploi, MDPH, structures spécialisées…).
  • Les nouvelles SAS (Les Services d’Appuis Spécifiques) déployées par ISATIS pour accompagner les employeurs dans le maintien des personnes rencontrant des troubles psychiques avec leur 3 modules :
    • « Analyse de la situation » : Premier éclairage global sur les conséquences du handicap et ses répercussions à prendre en compte dans la construction du projet professionnel ;
    • « Analyse des capacités » : Éclairage rapide sur l’adéquation entre les capacités de la personne et les gestes ou tâches professionnelles attendues sur un métier ou une même catégorie de métiers ;
    • « Évaluation approfondie avec préconisations » : Expertise approfondie sur les conséquences du handicap dans un contexte situationnel d’emploi ou de formation et identifier les solutions de compensation à mettre en œuvre pour des parcours vers l’emploi, dans l’emploi ou en formation.
  • Le DEA (Dispositif d’Emploi Accompagné), dont ISATIS est également coordonnateur mais dont l’association partage la mise en œuvre opérationnelle avec Espoir Autisme Corse dans ses différentes composantes :
    • Évaluation de la situation et des besoins
    • Aide à la recherche d’emploi
    • Soutien à l’intégration en poste
    • Sensibilisation de l’employeur
    • Suivi dans la durée, autant pour la personne que pour l’employeur
    • Possibilité d'ajuster les aménagements de poste ou d'organisation
  • Le Club Houseen tant que structure innovante d’accompagnement des personnes vivant avec des troubles psychiques, qui proposent une approche centrée sur la réinsertion sociale et professionnelle, dans un cadre non médicalisé, collaboratif et valorisant, et qui vient apporter des réponses concernant l’importance du soutien entre pair qu’évoquait Dominique Lhuillier lors de sa conférence matinale.
  • Enfin Naâïma Ramli, référente handicap à la Mairie d’Istres, a donné quelques exemples de situations pour lesquelles elle avait mobilisé la SAS pour le handicap psychique, opérée en PACA également par ISATIS, la manière dont elle l’avait mobilisée et ce que ça avait apporté, notamment dans un contexte de pénurie de médecin du travail.

Une table ronde riche en contenus, saluée pour sa clarté et ses apports pratiques. Plusieurs participants ont exprimé le besoin et le souhait de faire appel à ces dispositifs dans l’avenir.

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